De la pointe au talon

De mouillage en mouillage sur les côtes de Calabre, Coromandel arrive au port de Roccella Ionica le lundi 5 août en fin d’après-midi. Il y reste deux nuits, ce qui nous laisse enfin le temps de lui changer sa poulie de trinquette. Opération délicate car il faut défaire l’étai et le tirer de côté pour ne pas gêner le travail. Puis monter en tête de mat, faire sauter les anciens rivets, poser la nouvelle cage avec son réa, la riveter, et pour terminer faire redescendre la drisse dans le mat à l’aide d’un messager. Le bateau repart de Roccella tout fier avec sa trinquette à poste, prêt pour le gros temps !

Avant de franchir le golfe de Tarente nous faisons une escale mémorable à Le Castella. Pour rentrer dans le port il faut passer un petit goulet entre les rochers où le sondeur ne donne guère plus de 2 mètres de fond, avec un vent de travers qui force à ne pas trop ralentir… Plutôt flippant ! Une fois à l’intérieur on tourne en rond, personne ne répond à la VHF, on pense repartir quand enfin un gars nous fait signe sur le quai. On s’amarre à la place qu’il nous montre et on range le bateau. Un peu plus tard un autre gars m’interpelle depuis sa voiture. Je monte voir ce qu’il veut : c’est pour régler la nuitée. Il reste bien calé dans son siège, encaisse par la fenêtre une trentaine d’euros et me laisse un reçu. Drôle de bled ! Après une bonne douche on file visiter le château aragonais sur sa presqu’île puis manger quelques parts de pizza à la coupe. Le lendemain avant d’aller mouiller à quelques milles du port je prends le temps d’acheter des daurades et des calamars, car ici les poissonneries ne manquent pas, dans la rue toute proche j’en compte au moins 3 différentes !

Samedi 10 août, départ 6h du mat’ ! C’est qu’il faut du temps pour contourner le Capo Rizzuto et rejoindre les côtes de Puglia, environ 75 milles. Il est déjà presque minuit quand nous arrivons en vue de Torre San Giovanni où nous pensons jeter l’ancre. Une grosse vedette vrombissante passe non loin dans la nuit, tous feux éteints, puis revient vers nous… Ce sont les gardes-côtes ! Lampe torche braquée sur nos têtes ils nous demandent d’où nous venons et où nous allons avant de repartir comme ils sont venus. Au fur et à mesure qu’on approche du rivage la musique d’une boîte de nuit se fait de plus en plus forte, entrecoupée des exhortations gueulardes de l’animateur, un pur bonheur pour des marins fatigués. Même si je suis debout depuis 6h du matin je préfère encore profiter du vent plutôt que d’essayer de dormir avec ce boucan ! Les enfants m’aident à ressortir les voiles et filent se coucher. La mer est belle, une jolie brise gonfle le gennaker, une énorme demi-lune rousse m’accompagne un moment avant de se coucher lentement à l’ouest. Les conditions sont idéales et malgré le poids d’une longue journée cela reste un plaisir de naviguer. Vers 2h du matin Coromandel jette l’ancre dans un coin désert de la baie au sud de Gallipoli. On entend ici aussi les échos d’une boîte de nuit mais elle reste assez éloignée pour ne pas troubler un repos somme toute bien mérité.

Nous restons quelques jours sur Gallipoli, l’endroit s’avère plutôt sympa. D’abord cette Baia Verde dans laquelle nous sommes arrivés est bien abritée de la houle et les nuits y sont reposantes. Le jour elle offre un très joli spectacle de parasols colorés, en particulier sur les rochers de la Punta della Suina où la foule du dimanche vient se presser. Ensuite juste au nord de la baie tout près de la ville se trouve l’île San Adrea dont les fonds rocheux creusés sont superbes et nous occupent pendant des heures de plongée avec masque et tuba. Enfin la vieille ville sur sa presque-île, avec son dédale de ruelles très prisées des touristes, reste un endroit où il fait bon flâner en dehors des heures chaudes de la journée.

Le mercredi 14 août nous avons dans l’idée d’aller un peu plus au nord du golfe car il y a par là haut d’autres endroits sympas, mais le vent refuse et pire encore, ne permet plus de s’abriter dans Baia Verde. Un peu déçus on se résigne à mettre le cap au sud. C’est juste avant d’arriver sur San Gregorio que nous repêchons ce pauvre flamand rose que la brise a poussé loin des côtes. Aussitôt adopté par les enfants Flamy sera notre nouvelle mascotte et ne manquera pas de poser pour les photos ! En revanche notre mouillage du soir est un échec, je suis réveillé un peu avant minuit par la sono du bar sur la plage, beaucoup trop forte, et un gars qui braille au micro. Avec ça la houle qui malmène le bateau… Selma non plus ne dort pas. La lune est presque pleine, je lève l’ancre et déroule le génois. Une brise de terre s’est levée, sans grand-voile le bateau avance assez vite pour atteindre la rade de Santa Maria di Leuca vers 1h du matin. Bien évidemment ici aussi les discothèques sont là, mais elles sont un poil plus économes en décibels. Et la houle ne nous embête plus.

Cette dernière escale avant la Grèce est l’occasion de faire le plein de bons produits italiens : Caciocavallo, Parmiggiano, linguine, mezze maniche, biscotti, polpa di pomodoro, passata, etc. Et comme nous sommes le 15 août, nous avons aussi le plaisir d’assister au feu d’artifice de Ferragosto, allumé depuis la jetée du port au milieu d’une foule de bateaux que la police cantonne tant bien que mal à l’écart du danger, dans le vacarme des multiples musiques et de la foule en liesse. Les fusées explosent en gerbes impressionnantes qui remplissent le ciel au dessus de la ville et se réverbèrent sur la mer… De mémoire je n’ai jamais vu un aussi chouette spectacle pyrotechnique. Le lendemain à l’aube je regarde s’éloigner la silhouette du phare de Leuca et les côtes d’Italie, Coromandel met le cap à l’est vers un autre pays !